Comment éviter la crise économique ?
Patrick Artus
Économiste en chef et membre du Comité exécutif de Natixis La crise économique mondiale actuelle associée à la pandémie et celle de 2008, d’abord financière, n’a rien à voir avec. Cependant, comme en 2008, c’est le spectre de la récession, alors que, selon Bruxelles, le PIB européen ne reviendra pas aux niveaux d’avant l’épidémie avant la fin de 2022. Quelles leçons peut-on tirer de la crise des subprimes pour atténuer le choc économique associé à la crise sanitaire actuelle ?
Lire également : Comment construire un patrimoine durable ?
La nature de la crise du CEVID (2020) est très différente de celle de la crise des subprimes (2008-2009) : dans le premier cas, elle est liée à une diminution de la production due à des contraintes physiques (confinement, normes sanitaires dans les entreprises) et à une diminution de la confiance, de l’incertitude ; dans le deuxième cas, il y a une crise parce qu’il ya un déclin de la richesse, l’émergence de déficits et de services bancaires crise avec rétrécissement des prêts, tout accentué par la baisse des prix de l’immobilier.
Mais quelle que soit l’origine d’une récession, quand elle est profonde, elle laisse des traces dans l’économie. Après la crise des subprimes, l’Europe a connu une forte baisse de la croissance potentielle (à long terme), une désindustrialisation significative ; et il a fallu deux ans pour retrouver le niveau du chômage avant la crise, avec une augmentation du chômage jusqu’au début de 2013, crise dans la zone euro après la crise des subprimes. Il est donc légitime de se demander si la crise du CEVID peut provoquer une détérioration aussi longue de l’économie de la zone euro, car il s’agit également d’une crise violente (baisse de 8% du PIB d’ici 2020) et longue (avec une croissance très faible car il n’y a pas de vaccin) et de voir comment les gouvernements, l’Europe, la Banque centrale européenne (BCE) peuvent empêcher la crise d’être aussi grave et durable que la crise de subprime.
Lire également : La théorie des points pivots : un indicateur clé pour les traders
Après la crise des subprimes, la croissance potentielle (à long terme) dans la zone euro a fortement baissé, passant de 2,2 % par an avant la crise à 1,5 % après la crise. Les mêmes causes pourraient avoir le même effet après la crise de Covidius, donnant l’apparence d’une croissance très faible, inférieure à 1%, à partir de 2022, avec toutes les difficultés causées dans le financement de la protection sociale, les pensions. Pourquoi la croissance potentielle revient-elle après une crise violente ?
D’ une part, à cause de la destruction du capital (avec des secteurs dont l’activité est en déclin permanent du fait de la baisse des investissements), d’autre part en raison de la baisse du capital humain (avec augmentation du chômage, évolution des compétences adaptées aux besoins de l’économie). Les mécanismes apparus après la crise des subprimes peuvent encore être très présents après la Crise de Covid, d’autant plus qu’elle provoque un changement violent dans la structure sectorielle de l’économie. Certains secteurs (aviation, transport aérien, automobile, distribution traditionnelle, immobilier de bureau) sont susceptibles de souffrir durablement, tandis que d’autres vont se développer (services informatiques, pharmacie, distribution et logistique en ligne, sécurité…). Cela conduit spontanément à la perte de capital productif et de capital humain dans les secteurs en difficulté. Comment l’éviter ? Premièrement, ce qui s’est passé dans tous les pays européens, nous devons soutenir les entreprises et les travailleurs qui ne sont qu’en transition et dont l’activité se normalisera après la crise, par des mesures de chômage partiel, de réductions d’impôts, de subventions sectorielles, de prêts couverts par la Banque européenne. Nous devrons alors investir dans la formation pour recycler de nombreux travailleurs qui doivent changer d’emploi (probablement environ 1 million en France) et ; plus le système de formation peut garantir ce recyclage, moins le chômage structurel augmentera. Enfin, ce qui est prévu dans les plans nationaux de relance et le plan européen de relance, de nouvelles industries fortes doivent être développées pour compenser le déclin d’autres industries : équipements d’énergie renouvelable, stockage d’électricité, intelligence artificielle et robots, etc.
Politique budgétaire expansionniste
À la suite de la crise des subprimes, la situation économique dans la zone euro s’est encore détériorée de 2010 à 2013, avec la crise de la zone euro : la cessation de la mobilité des capitaux entre les pays de la zone euro n’a plus contribué au financement des déficits extérieurs des pays périphériques de la zone euro (Espagne, Italie, Portugal, Grèce). Ces pays ont dû éliminer rapidement ces déficits extérieurs en choisissant pour une politique budgétaire plus restrictive, qui a mis la zone euro en récession. Dans le même temps, les pays excédentaires d’épargne (Allemagne, Pays-Bas) se sont détournés des autres pays de la zone euro et ont accordé des prêts au reste du monde en dehors de la zone euro à partir de 2012-1013.
Une telle situation pourrait-elle se reproduire aujourd’hui ? C’est très peu probable. D’une part, les pays européens semblent déterminés à poursuivre une politique budgétaire expansive durable : la France, par exemple, a annoncé qu’elle ne récupérerait qu’un déficit public de 3% du PIB d’ici 2025. Toutefois, d’autres déficits publics ne posent pas de problème de financement car ils génèrent des recettes, c’est-à-dire qu’il achète les titres publics émis et les paie en créant de la monnaie. Tant que cette politique est mise en œuvre (au moins jusqu’à fin 2021), il n’y a pas de tension sur les taux d’intérêt périphériques des pays de la zone euro, ni de tout problème de solvabilité budgétaire, c’est-à-dire pas de méfiance à l’égard de la solidité financière des pays. Enfin, l’introduction d’un plan européen de relance de 750 milliards d’euros, qui profite principalement aux pays les plus faibles, génère des transferts de pays européens plus sains vers d’autres pays, conduisant à la disparition des flux de capitaux entre pays observés après la crise des subprimes, est évitée.
Mobiliser les économies des Européens en Europe
À partir de 2010, la disparition de la mobilité des capitaux entre les pays européens remet en question la question centrale de l’utilisation de l’épargne des Européens. Depuis 2010, les excédents d’épargne de l’Allemagne (avec un excédent extérieur d’environ 8 % du PIB) et des Pays-Bas (avec un excédent extérieur supérieur à 10 % du PIB) se situent en dehors de la zone euro prêté au monde, en particulier aux Etats-Unis : l’Europe est devenue le plus grand acheteur de la dette américaine du Trésor. Bien que le taux d’investissement européen ait baissé de 4 points de pourcentage (PIB) depuis la crise des subprimes, cette situation est très choquante : les économies réalisées par les Européens doivent financer l’investissement en Europe, et non le déficit du gouvernement américain. Mais nous voyons des facteurs qui améliorent cette situation : l’Allemagne a accepté une politique budgétaire plus large (7% du PIB du déficit public d’ici 2020 et maintenant 3% d’ici 2021), le plan de relance européen conduira à l’émission de 750 milliards d’euros de dette européenne : tout cela augmentera les économies des Européens, visant à investir en Europe et plus vers le reste du monde. La remise en état de l’excédent d’épargne par rapport aux investissements en Europe se ferait donc par la récupération des investissements financés par l’emprunt les économies excédentaires des Européens.
Il semble clair que l’Europe bénéficie désormais de l’expérience acquise après la crise des subprimes. Les gouvernements et la Commission européenne savent que, pour éviter un nouveau déclin de la croissance potentielle, il est nécessaire d’encourager la formation, le recyclage des travailleurs dans les secteurs en difficulté et de développer de nouvelles industries fortes. Ils ont entendu parler de la nécessité de se mettre d’accord sur la conduite d’une politique budgétaire stimulante sur une longue période, d’abord pour éviter la faillite et le chômage, puis pour investir dans les industries futures et la formation. Pour sa part, la BCE a compris que cette politique budgétaire n’était possible que si elle compense les déficits publics pendant le temps nécessaire.
Ce qui a causé la crise dans la zone euro, la cessation des flux de capitaux avec la perte de confiance des pays de base de la zone euro dans la solvabilité des pays périphériques ne peut plus se produire : la politique budgétaire maintient la solvabilité à long terme de tous les pays, l’Europe organise des transferts vers des pays plus difficiles.
Enfin, les plans d’incitation nationaux et européens vont absorber l’épargne des Européens et les concentrer sur les investissements en Europe, éliminant l’une des causes principales de la perte de croissance de l’Europe depuis 2010 : la fuite de ses économies vers le reste du monde.